Interview de Henriette

entrechaux histoire guerre

Interview de Henriette G.

On commence par une citation : « quand chaque jour est une question de survie, on est bien obligé de s’engager ».

Quant aux familles de réfugiés qui étaient arrivées, en car, de Toulon, quand il y a eu le débarquement … je m’en souviens très bien. Nous on avait la famille Georges de Marseille.

Je vais vous raconter une histoire (et Henriette en rit à l’avance). Il y avait aussi un couple de poissonniers qu’on avait placé chez Eyssartel, les enseignants. Comme ils étaient très costauds, la première nuit qu’ils ont passée ils ont démoli le lit. Oh comme on en avait ri de cette histoire !

Les Georges, au tout début, on les avait installés dans Entrechaux, dans la maison avec remise là où Hervé met son stock. Le logement appartenait aux Boyer. Ils étaient logés là. C’était pour la plupart des familles nombreuses. Les enfants étaient scolarisés avec nous. Les Cucumel venaient de Toulon, les Georges de Marseille, Ils ont même habités dans la ferme de Paul Guintrand à Puyséby.

La dernière fois que nous nous sommes rencontrées, Henriette avait évoqué une association pour laquelle elle tricotait. Donc je reviens sur le sujet et lui demande de m’en parler. Aussitôt elle l’évoque avec une excellente mémoire des faits.

Cette association s’appelait « Les femmes de France » qui était de « gauche ». C’est Mme Eyssartel, l’institutrice, qui était venue me trouver. Il y avait eu déjà quelques réunions. C’est Mme Grasseau qui s’en occupait. Elle était redescendue de Paris pour se réfugier ici. J’ai bien voulu accepter de tricoter quelques bricoles - surtout des bas - mais je ne savais pas quelle association c’était. Toi tu es jeune Henriette, tu as 20 ans, on va te donner les sous. Tu feras les comptes. Mais un jour je me suis disputée car je trouvais qu’il y avait une terrible injustice.

Nous envoyons ainsi des colis aux trois soldats Entrechalais partis du village ; d’autres colis étaient aussi envoyés à d’autres jeunes inconnus selon leur propre décision au STO ou dans l’armée régulière. Dedans on y mettait surtout des vêtements (des bas, des gants, des bonnets, des cache-nez, des tricots…). On allait se faire donner des bouts de laine. On allait dans les maisons pour en demander. Mme Artillan qui tenait la mercerie à Vaison nous donnait des pelotes qu’elle n’avait pas vendues. J’ai continué après à tricoter pour mon filleul de guerre, natif de Gargas, à côté d’Apt. Il m’avait remerciée et on avait échangé des courriers plusieurs fois.

Si l’on doit tirer une leçon de cette période difficile vers la fin de la guerre c’est la générosité dont Arthur avait fait preuve en faisant faire le pain blanc pour tout le village. Quand je pense qu’on faisait du savon, qu’on faisait de l’huile et vous croyez que pour manger il fallait aussi se débrouiller.

Henriette part me chercher 2 photos d’une équipe d’indochinois qui est venue en 1943 couper des genêts pour faire du tissu.
Ils travaillaient pour l’État et étaient dirigés par M Lemoine de Vaison. Ils sont restés dans la commune plusieurs mois et logeaient au 1er étage de la remise de Gaston. Ils venaient souvent voir mon grand-père qui avait fait le Tonkin et ils échangeaient quelques mots en indochinois. Cela leur faisait plaisir.

Il y a un truc qui m’a marquée, c’était qu’ils mangeaient beaucoup du lapin, mais pour les tuer ils les plongeaient vivants dans l’eau bouillante. Pauvres bêtes ! Ils ne l’avaient pas belle. En tout cas, ils travaillaient beaucoup et toute leur récolte de genêts était transportée par camion pour alimenter les usines de tissu.

Les FTP étaient de tendance communiste. Durand, dont les deux filles, Lucette et Renée, jouaient au basket, parfois arbitrait les matches entre Sarrians et Entrechaux. Je ne savais pas à l’époque qu’il s’occupait des FTP ni son rôle dans la résistance. Mais je le voyais passer dans Entrechaux et un jour on s’est rencontré devant le bar et il m’a dit qu’il venait faire une commission dans le quartier. Son ouvrier noir, Antoine Diouf, je ne l’ai vu qu’une fois lors d’une soirée qu’il avait donnée dans la remise du Gaston. Les horreurs que ces deux hommes martyrisés ont subies…c’est impensable.

Le même jour les Allemands ont fait d’autres victimes ; à Violès, en rentrant à gauche, il y a une plaque de marbre, ils ont tué là le mari d’Henriette Gaillard. Elle venait très souvent faire des remplacements à la gare d’Entrechaux. Je la connaissais bien. À l’époque, avec Henriette Grangeon on allait à bicyclette porter des peaux d’agneau à la tannerie de Chamaret dans la Drôme pour se faire un manteau. Mais après plusieurs aller-retours, il nous manquait une peau pour finir notre fameux vêtement et un certain monsieur, dont je tairai le nom, avec un collègue, sont entrés dans le magasin de Mme Aubéry - l’épicière - (ordre de la résistance) et les a toutes réquisitionnées, alors que nous avions vraiment peiné et pédalé pour réunir les huit peaux nécessaires à la confection de notre vêtement. Nous n’avons jamais pu le finir et un grand regret accompagné de colère m’a envahie. D’autant plus que tous les samedis j’étais là pour aider à couper les tickets de ravitaillement.

L’épisode le plus dangereux qu’Entrechaux a vécu est celui du jour où un Allemand a été tué sur la route dans le village, devant l’actuel office de tourisme. Si jamais les Allemands étaient montés par ici au lieu de monter sur Vaison ils auraient brûlé tout le village, comme à Oradour. Heureusement qu’il y avait le bassin de Gaston. Pendant que certains charriaient des seaux d’eau les autres, avec des balais, frottaient le sol pour enlever le sang. « Oh ! pauvre » je crois que c’est le jour que j’ai le plus eu peur. La camionnette était elle aussi pleine de sang. La guerre c’est vraiment pas beau. Pourvu qu’il n’y en ait plus. Après les résistants sont allés l’enterrer dans le vieux cimetière communal. Sa tombe était signalée par une simple croix de bois. Après la guerre, en 1952, sa famille est revenue chercher le corps pour le ramener en Allemagne parmi les siens.

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