Jean Guala

entrechaux histoire guerre

Interview de Jacqueline et Francis B. et de Simone F.

Tous trois ont souhaité se réunir pour évoquer ensemble leurs souvenirs de la guerre 39-45, chez Simone en tant que voisins et amis depuis toujours. Le ton de la conversation que nous allons avoir est déjà donné dès le début. En effet Françoise commence en disant à sa mère : « moi je me rappelle quand le pépé Robert racontait que le canon d’une mitrailleuse, située sur le plateau de la Brédouire était pointé sur notre maison, car il y avait toujours des maquisards cachés dans le grenier et on vous avait dénoncés ».

Oui ! ça revient petit à petit répond Simone (dite Momone). Je me souviens que mon père (prénommé Jean et né en 1896) m’envoyait à Propiac, au château qui était occupé par des jeunes maquisards, porter des messages. Maintenant il y a la production d’eau « La Française ». Un jour quand je suis arrivée dans la salle de séjour il y avait un jambon gros « comme ça » et du pain blanc sur la table (afin que nous puissions l’imaginer Simone fait signe avec ses deux bras écartés au maximum et croisés vers l’avant…et Francis rit de bon cœur).

C’était les gendarmes de Vaison qui étaient maquisards là-haut. Un me dit « tu as faim ? «  Je lui réponds « non ! je n’ai pas faim mais je voudrais bien une tartine de pain », car on mangeait du pain de maïs qui n’était vraiment pas bon. Alors il m’a coupé une tranche de pain blanc et une tranche de jambon. Je lui ai dit « je mange le pain blanc mais le jambon je le mangerai à la maison » Alors il m’a coupé un autre morceau.J’avais une sacoche à mon vélo et il m’y a mis deux pains dedans. J’arrive à la maison en criant à ma grand-mère « Mémé, Mémé : j’ai du pain blanc », c’était un évènement ! Alors on ne l’a pas mangé parce qu’elle l’a gardé pour son petit déjeuner du matin. Les personnes âgées, c’est vrai, en avaient besoin et étaient privées aussi !

Raconte leur aussi, dit Françoise, l’anecdote quand pépé Robert, avec son cousin germain (Gaby R. du Buis), étaient partis d’Orange vers Valence faire sauter la Kommandatur. Ils avaient une valise de plastic et un monde pas possible dans le train. Alors ma grand-mère, qui ne le savait pas, s’est assise sur la valise et a voyagé comme cela pendant tout le trajet. Quand ils sont arrivés à Valence, à côté de la Kommandatur, il y avait un cinéma, bondé de spectateurs. Alors ils sont revenus sans avoir provoqué leur attentat. De retour, ils ont marché, marché, marché … et Yvonne, la femme de Gaby avait des chaussures à lanières et elle avait tellement mal aux pieds que le Gaby les a coupées une à une et qu’à la fin il n’en restait plus qu’une qui tenait la chaussure. C’était à l’initiative, très souvent, de Gaby, un vrai « dur » communiste acharné, qui savait entraîner mes parents dans des opérations à grand risque.

À propos de risque dit Francis, je vais te raconter l’histoire de Jean Guala (deuxième nom sur le monument aux morts – photo de Simone). Lucien G., chef des FFI du secteur, occupait Vaison mais les Allemands étaient toujours dans le secteur et montaient vers nous. Mon père est descendu voir ce qu’il fallait faire pour aider les troupes. Le même jour, Jean Guala un excellent copain a voulu aussi rejoindre Lucien G. à Vaison pour s’impliquer dans la lutte. C’était l’ouvrier agricole des Robert, il travaillait chez eux (les parents de Simone). Alors Simone réagit aussitôt et dit : mais c’est le jour où il s’est fait tuer le 10 juin 1944 juste avant le débarquement. C’était un brave gars ce Jean. Mais il n’a jamais voulu remonter à Entrechaux malgré tous les avertissements et le danger imminent des Allemand qui arrivaient du Barroux. Il avait 19 ans. Il était parti s’engager dans la résistance, armé d’un simple révolver, sur un vélo que mon père lui avait prêté Il croyait pouvoir arrêter une colonne d’Allemands, équipée d’auto-mitrailleuses et d’armes très importante avec son petit révolver. Ca s’est passé comme ça ! Qu’est-ce qu’il était brave ce garçon ! Ses parents étaient de Saint-Marcellin. On a passé toute la nuit sans dormir à attendre son retour. À l’aube mon père est parti avec un autre vélo. Quand il est arrivé à Tararin, il y avait des pompiers qui sortaient des cadavres de la grotte et le premier qu’il a vu sortir ce fut Jean. Quand on a vécu tout ça, on ne peut pas l’oublier. J’en fais la chair de poule. Pour moi Jean était un frère.

Regarde les photos que j’ai cherchées ce matin. Elles sont là dans le placard … ouvre la porte ! Et là Simone nous montre trois ou quatre photos ; Une de M Morand de Nyons, une de Vincent de Carpentras, une d’un cousin Léon d’Orange dont elle racontera plus tard qu’il s’est fait tuer à Crestet et une de Jean Guala. Sur celle-là, mon père s’était habillé, avec son cousin Léon d’Orange, avec un chapeau et un pardessus pour se déguiser et ne pas être reconnu. Francis : C’était un temps abominable ! Le soir quand même Jean passait à la maison et on allait veiller chez des amis. On profitait bien ! Marie Hélène évoque l’accident du capitaine aviateur Joseph Jallier. Elle raconte… Nos trois témoins se souviennent ….il volait très bas… le nuage de fumée noire et surtout le problème de la tête, trouvée après par Bruno P. et du corps caché par les maquisards de Malaucène. Quelle idée de vouloir l’enterrer sans tête ! C’est de la folie.

Mais le fait le plus marquant pour le quartier, dit Jacqueline en s’adressant à Momone, c’est le jour où les Allemands ont mis ton père en joue. En effet le jour où « ils » sont venus chez nous on ne brillait pas. On a dit « aïe ! aïe ! aïe ! » On vous voyait très bien de chez nous. Mon père a dit : il faut rentrer quand il les a vus avec leurs mitraillettes aller chez Simone. Chez nous mon oncle était caché car il n’était pas parti au STO.

Simone reprend la parole pour raconter vraiment ce qui s’est passé lors de cet assaut. S’ils avaient trouvé Morand, maquisard qui leur avait échappé à Nyons, caché chez nous, il aurait fait comme avec la famille Jarjaye de Vercoiran, ils nous auraient tous massacrés. Mais alors ma mère a gardé son calme en me disant: on verra bien. Alors que moi je lui disais : ils ont emmené papa derrière la ferme, ils vont peut-être le tuer ! Mais alors elle a continué à étendre son linge, sur l’aire. Une réaction impressionnante devant laquelle je suis encore bouche bée. Après mon père a réalisé et, avec le recul, a eu très peur. En tremblant, il est allé voir Marius, le père de Francis, qui lui a servi un grand verre de gnole (eau de vie à 90°) pour trinquer à leur bonne santé et au départ des Boches. Cette goutte l’a ravigoté et il en parlait toujours : « ça brûlait mais ça me faisait du bien, je me sentais ragaillardi ». D’autant plus qu’après coup on réalisait ce que ces gens-là étaient capables de faire. Ce n’était pas des enfants de chœur.

Je me permets de faire remarquer que les défunts Entrechalais de 39-45 ne sont pas nombreux - toujours trop - seulement trois par rapport aux 31 de 14-18. Jacqueline précise que Jean André, parti au STO, était tombé malade . Jean Guala, on vient d’expliquer toute son histoire. Quant à Jean Faraud, le troisième, Henriette G. a raconté sa vie dans l'ouvrage « Mémoires d’Entrechaux ».

Pour finir cette super après-midi, Jacqueline évoque l’incident du cheval de Julien Blanc dont la viande a été distribuée aux Entrechalais et le pain blanc qu’Arthur a offert à tous les villageois.

Ces deux faits, qui peuvent paraître anodins ont été évoqués par toutes les familles que j’ai rencontrées. Les privations étaient quand même importantes dans le quotidien de tous ces gens qui ont vécu la guerre.

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