Il y a plus de 60 ans « Le Petit Train Du Buis » accomplissait son dernier trajet entre Buis-les-Baronnies et Orange. Il avait bravement
fait partie du paysage de Val d'Ouvèze pendant près de 45 années. Pourtant le 13 décembre 1952, à la tristesse des
usagers, il rejoignait définitivement le dépôt ! Et cela malgré le travail du « Comité de Défense et de Modernisation de la Ligne »
(
1939,
Comité de défense des usagers de la ligne d'Orange à Buis-les-Baronnies à
Monsieur le Maire de la Commune d'Entrechaux
« Monsieur
Nous avons l'honneur de porter à votre connaissance que la pétition engagée dans votre commune pour le maintien
des trains de voyageurs ou leur remplacement par des autorails, a été signée par la population de votre
localité dans une proportion de 90 %. »
)
et
même un émouvant article de l'hebdomadaire Paris Match : « Prières pour un petit train » avec une dizaine de photos.
Il en avait cependant fallu du travail et de l'énergie pour arriver au jour de l'inauguration le 10 mai 1907. Les démarches administratives avaient commencé dès l'année 1860 ! Avec la création de nouveaux marchés et de foires, le transport de matériaux, le développement de voies de communication devenait nécessaire. En 1896 la ligne Orange-Le Buis est déclarée d'utilité publique.
La construction de la ligne fût un vrai travail de romain : 49'702 km de voies, avec implantation de 13 gares, 41 ponts dont le pont sur le Toulourenc, 2 tunnels dont celui d'Entrechaux (40m), 22 passages à niveaux avec garde barrière et leur maisonnettes... tout cela à la pelle, la pioche, la barre à mine ! Il a fallu recruter une main-d'œuvre en conséquence, avec parfois des incidents difficiles à gérer : de très nombreux ouvriers immigrés, italiens notamment, viennent en renfort. Peu d'années après la guerre de 70 des tensions apparurent aux sein des équipes. Ce fut le cas à Entrechaux où le 9 Août 1904 une centaine d'ouvriers français, drapeau en tête et gourdin à la main veulent en découdre avec les « bàbi » qui viennent manger le pain des français ! L'incident fût évité ! ...de peu.
« Au mois d'août dernier, une grève éclatait sur les chantiers de construction de la nouvelle ligne
d'Orange au Buis (territoire d'Entrechaux). Pendant que se poursuivaient les négociants entre les entrepreneurs
et les ouvriers, la municipalité d'Entrechaux dût venir en aide, à plusieurs reprises à des ouvriers qui se trouvaient
malades ou sans ressources. Les distributions de se cours en nature faites à cette époque se sont élevées à la somme
de 300 francs environ, que la commune n'a pu régler encore faute de ressources disponibles. Elle sollicite dans ce
but une subvention sur les fonds du département. »
Vaucluse. Conseil général. Procès-verbal des séances du Conseil général (Vaucluse) 1905
Orange, Camaret, Violès, Sablet, Séguret, Roaix, Vaison, Malaucène-Crestet, Entrechaux, Mollans-Propiac, Pierrelongue, Cost-Montbrun, Buis-les-Baronnies.
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Le Petit Train du Buis faisait tout : voyageurs, marchandises, poste. Il y avait donc à bord un mécanicien (qui conduisait !), un chauffeur qui devait veiller à maintenir la pression de la vapeur et s'assurer qu'il y avait suffisamment d'eau et de charbon, et un postier qui restait confiné dans un compartiment aménagé dans le fourgon à bagage. Une fente dans la paroi du wagon servait de boite à lettres.
Il est arrivé au mécanicien d'arrêter le train en pleine voie, entre deux gares, pour « rendre service » mais le résultat de cette bonne action fût, malgré tout, un blâme !
Notre train effectuait 3 allers-retours par jours avec croisement à Vaison et Camaret ou Sablet. En été, après les spectacles à Orange un train circulait la nuit avec retour à Buis à 3 heures du matin. On peut imaginer l'ambiance de fête ! Le train avait aussi des « effets secondaires » comme a expliqué un ancien de St Marcellin « le train, quant il passait sur le pont en fer, on l'entendait, ça nous donnait l'heure ». Il y avait également le compartiment de 1re classe, luxe, avec rideaux et capitonnages, bien connu des amoureux…Il y avait les joueurs de belote, et les chats de Mme Jupille qui faisaient seuls Buis-Orange et retour, et beaucoup d'autres histoires !
« Puis arriva la construction d’une voie ferrée allant d’Orange à Buis-les-Baronnies transportant voyageurs et marchandises de toutes sortes, ainsi que le courrier postal. Il y eut, au début, quatre trains par jour ! Ce fut le désenclavement de la région, pour les marchandises, légumes et raisins et surtout pour la papeterie du village, la papeterie Bonfils : expédition du papier, et transport des barillons remplis de tissus et vêtements de toutes sortes, matières premières servant à la fabrication d’un papier à cigarettes de très bonne qualité. »
« Le petit train est un de mes bons souvenirs : il montait à 10 heures vers Buis et redescendait à 4 heures de l'après-midi vers Orange. Quand je n'allais pas à l'école, son sifflement rythmait la journée et j'aimais voir la fumée de la locomotive depuis la maison. Je l'ai pris quelquefois avec ma mère pour aller à Buis, et vers Pierrelongues. Il allait si lentement, qu'on aurait pu descendre et remonter en marche sans problèmes ! »
« Avant la guerre de 1939-1940, on emballait les raisins de table (Italia, muscats de Hambourg, chasselas, gros verts, dattiers) dans des cageots que l’on portait tous les jours à la gare où le petit train du Buis les transportait jusqu'à Orange, pour être dirigés dans plusieurs villes de France et à l’étranger, après transbordement. »
« Au fil des années, avec l’arrivée de la voiture, puis des cars et des camions, cette ligne a décliné petit à petit, jusqu'à provoquer sa fermeture. Le dernier passage du train fut signalé par un sifflement intermittent tout au long de son parcours ce qui donna un pincement au coeur. »
Que nous reste t-il de tout cela ? Des anecdotes, la mémoire qui va se diluer, quelques gares, maisonnettes, pour nous à Entrechaux, une très jolie route le long de l'Ouvèze qui rejoint Mollans, un tunnel construit en courbe suivi du pont sur le Toulourenc tous deux magnifiquement réalisés en pierre des carrières de Beaumont, des bâtiments réhabilités en habitations privées.
Et on ne peux s'empêcher de rêver... et si le Petit Train existait encore ? Quel plaisir de prendre son temps en suivant ce trajet magnifique ! Mais au temps de l'efficacité rentabilité, 2 heures pour aller à Orange, c'est impensable ! Profitons donc de notre belle ex-voie ferrée à pied, en vélo, en voiture...
Loi qui approuve une Convention passée entre l’État et la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée pour la concession à cette compagnie du chemin de fer d’Orange au Buis-les- Baronnies.