Quand on est en ville ou quand on est dans un village, ce n’est pas pareil ; On était moins malheureux à la campagne. Pour le pain on avait des paysans qui donnaient la farine, ma mère élevait des cochons, des lapins et avait le bar du Midi. Moi je tuais les cochons avec André B.
Je me souviens toujours de la déclaration de guerre. On l’a appris par la radio. Dans le bar, il y avait beaucoup de monde et ça s’est vite dit. Puis le tocsin a été sonné… à la fin de la guerre c’est moi qui ai sonné les cloches. Je suis resté sourd pendant une semaine mais j’étais content. On était trois ou quatre dans le clocher avec George G.
J’aurais dû partir au STO. Le père Collière nous avait planqués, à Avignon, comme beaucoup de jeunes partis soi-disant pour couper du bois alors qu’ils étaient chez eux. Je suis resté six mois à Avignon, sur la route de Nîmes puis après à Saint-Léger, dans une ferme à couper du bois. J’étais même parti à la caserne à Avignon, c’est là que le père Collière est venu pour nous chercher. À ce moment-là, il était (enfin…ce n’était pas très bien vu par les gens) je crois président de la Légion que Pétain avait créée…en même temps, il nous a tous sauvé. D’ailleurs la résistance voulait l’abattre mais le chef de réseau, Lucien G., avait interdit même de lui prendre car il avait compris qu'il jouait sûrement un double jeu et qu’il avait sauvé tous ces jeunes. Il ne devait pas être vraiment pour les Allemands car à la déclaration de guerre, Collière était marchand de vin à Strasbourg…plutôt à Sélestat. Et ils lui ont tout fauché : trois wagons citernes de vin, des fûts…etc. Lucien G., lui, avait compris, mais pas d’autres. À ce moment-là, au début, Pétain avait fait arrêter la guerre et tout le monde criait « vive Pétain ! » « bravo Pétain ! ». Les Allemands faisaient ce qu’ils voulaient quand-même. Après le maréchal a collaboré avec eux, je pense qu’il ne pouvait pas faire autrement car c’était les Allemands qui dirigeaient. Même dans la résistance il y avait deux camps, les FFI et les FTP, quand je dirai la suite… tu verras !
Pour cet aviateur, Joseph Jallier, tué dans les vignes, au croisement de la route des Amarens, je pense te montrer l’endroit exact, où moi, Bruno, j’ai trouvé la tête. Je la revois très bien. C’était un type assez joufflu, la trentaine, les cheveux blonds coupés en brosse…cette tête je la reverrai toujours. Toute ma vie je l’ai vue surtout la nuit, c’était comme un guillotiné, très, très difficile ! On était deux, à vélo avec le père Court. On a ramassé cette tête et on la mise dans un « billot » sur le porte-bagage de mon vélo, en la cachant sous un chiffon. On la ramenée à Entrechaux. Le plus moche, c’est que le père Court faisait partie des FTP et qu’après, ils se disputaient cette tête avec les FFI. Chacun avait un morceau du cadavre …et c’était minable de les voir se disputer comme cela ! Finalement ils ont réussi à s’entendre. Mais la tension était très vive avec beaucoup de jalousie (chacun était résistant à la fin de la guerre).
J’allais tuer le cochon, la nuit, chez les gens, mais j’avais été dénoncé. Les gendarmes sont venus voir ma mère en lui disant « votre fils, il va tuer la nuit… attention à lui ! ». En plus, je n’étais pas payé, c’était méchant et par pure jalousie. Une fois j’ai été embauché pour tuer une vache à Veaux, cette viande n’était pas pour la résistance mais elle a profité à bien d’autres. Le mulet de Julien Blanc c’est moi qui l’ai espaillé … il n’y avait rien que des éclats de balle. Mon frère était sur le foin de la charrette. Lui il faisait le boulanger avec le Jean B. Ce boulanger donnait du pain autant qu’il le pouvait pour dépanner les villageois. Avec sa femme, ils méritent qu’on les cite car ils ont fait beaucoup pour les Entrechalais. C’était de braves gens. À ce moment-là il fallait s’entraider entre tous. La solidarité tenait une grande place, mais à la fin c’était long. Cependant on s’était habitué à tout…même les bals clandestins avaient lieu. Théo, le père de Jean M. jouait de l’accordéon…la vie continuait tant bien que mal.
Parmi les Allemands il y en avait de plus méchants que d’autres. Il y avait les appelés, les SS et d’autres plus inhumains que les autres de véritables bêtes …ce fut un temps terrible ! Par contre quand les Américains sont arrivés ce n’était pas le chewing-gum qui m’intéressait… c’était les cigarettes. Ils nous en ont données, elles avaient une odeur spéciale et un goût très appréciable. Le chocolat et le chewing-gum, les Américains nous les donnaient, mais pas les cigarettes. Ils nous les vendaient car ils savaient qu’on en était privé. En tout cas, on a été bien content de les voir arriver.