J’avais 19 ans et j’habitais Puyberlie à Entrechaux. Arthur avait eu des échos que la guerre était déclarée et que les jeunes devaient partir au STO. Mais il n’a jamais voulu partir car il avait déjà des enfants ; il est resté à la maison. Il a dit : moi, je reste chez moi et quoiqu’il arrive je me défendrai. C’est comme ça qu’il a parlé avec ses oncles de Séguret qui étaient des maquisards. Il en a aussi causé avec Grangeon qui avait déjà monté un réseau pour aider les jeunes à ne pas partir. Beaucoup avaient pleuré car ils ne voulaient pas aller au STO.
Lui, il a fait son service à Nyons dans une ferme où il gardait les moutons et les vaches. Il y est resté pendant 8 mois. J’allais le voir à vélo avec l’Edwige. Quand il a eu fini, il s’occupait de tous les jeunes qui ne voulaient pas partir au STO et dans la maison c’était un aller-venu incessant. Quand Grangeon en avait un peu trop, il disait : je peux vous envoyer que chez le Tutu ! En pleine nuit on entendait taper à la porte, on allait ouvrir et c’était des jeunes avec des mots de passe de Grangeon, du colonel Beyne ou de Max Fischer. Ils nous disaient : il nous faut monter au Buis. Avant de partir il fallait les faire manger. J’allais tuer un lapin et je le cuisinais vite à la cheminée et je faisais des mias avec de la farine de maïs ; il n’y avait pas de pain. Le repas fini, Arthur montait deux jeunes sur sa moto - un devant, un derrière - et il partait les amener à Buis.
Grâce aux deux bœufs qu’on avait achetés, on labourait toutes nos terres et une année on avait fait beaucoup de blé (en 1944) et comme on ne voulait pas le donner aux Allemands, Arthur l’avait porté au moulin à Mollans pour faire de la farine. Quand il est allé la chercher avec ses collègues, il l’on portée chez le boulanger le père Bonavera qui a fait du pain blanc pour tout le village. La mère Bonavera - l’Augusta - en avait gardé un morceau sur sa cheminée en disant que jamais elle ne s’en séparerait. Tout un symbole !
Un jour, il était au bar à Entrechaux, chez la mère de Bruno en entendant un grand bruit, elle l’a fait passer par une fenêtre derrière pour s’enfuir vers le château. Il était agent de liaison et il avait un side-car pour aller chercher des armes, avec Lucien Grangeon à Avignon. Il y avait un caveau au cimetière de Vaison dans lequel les maquisards avaient caché des armes. Lors d’une perquisition, due à une dénonciation, les Allemands n’y ont rien trouvé car les résistants l’avaient vidé, juste avant.
Quand ils étaient tous couché dans les fainières, moi je dormais l’été sur une paillasse dehors sur la terrasse. J’écoutais s’il n’y avait pas de bruit ou si les Allemands n’arrivaient pas. Je faisais la sentinelle.
Les jeunes voulaient prouver qu’ils étaient là. Ils avaient installé une mitrailleuse sur le Bosquet. Arthur leur a dit : c’est très dangereux, vous êtes mal placé. Mais ils se sont moqués de lui en le traitant de « froussard ». Une heure après, il a entendu tirer, c’était sur des gens qui se baignaient dans la rivière. Ces jeunes maquisards étaient inconscients et très mal organisés Pourquoi ils étaient si bêtes ? Ils croyaient arrêter une colonne d’Allemands avec un simple révolver. C’était la fougue de la jeunesse.
Un jeune résistant m’a appris une chanson qu’il avait composée pour les anciens maquisards car il voulait, même si ce n’était pas un chef-d’œuvre, garder une trace de cette camaraderie pour l’avenir. Arthur lui avait dit que je chantais bien. Quand j’ai eu les paroles je les ai apprises pendant plusieurs nuits pour les savoir par cœur. Cette chanson en dit beaucoup… ! Il a été tué un peu plus tard mais il n’est pas parti sans laisser un message : sa chanson.
Quand Arthur ne pouvait pas y aller, moi je passais partout avec le vélo de la mémène (la maman de MH). Il fallait porter un message griffonné au mémé de la Poussane et traverser Vaison. Tu le mets où ce papier ? Eh bien ! Dans le guidon de la bicyclette. Quand j’arrive au pont romain de Vaison, il y avait des Allemands avec des auto-mitrailleuses qui attendaient. Il avait bien vu le panneau que les maquisards avaient mis « Messieurs les Boches le pont romain vous dit Merde » car les Allemands n’avaient pas réussi à le faire sauter, alors qu’ils avaient pu détruire le pont neuf. Quand je suis venue pour passer, il y avait une auto-mitrailleuse de chaque côté. « Oh putain ! qu’est-ce que je fais ?- tu es foutue Henriette ! Tu ne verras plus tes petits ! » J’ai essayé de parler à un Allemand en lui expliquant que j’allais voir ma grand-mère qui était malade (comme le petit chaperon rouge). Alors il a pris mon vélo et il me l’a fait passer de l’autre côté du pont. « Je veux crever si c’est pas vrai ». Il y en avait qui ne voulaient pas faire la guerre comme les Français, ce n’était pas tous des salopards.
J’arrive chez le « mémé de la Poussane » et la Suzanne me dit « qu’est-ce que tu viens foutre ici ? Tu es folle ! Il n’y a personne ici ». Quoi, mais moi j’ai un papier à donner pour mémé. Qui te l’a donné ? Si je viens c’est la preuve que quelqu’un me l’a confié, c’est Grangeon ou Beyne…Où il est ? On rentre dans la remise, on démonte le guidon et elle prend le papier. Elle me dit : « taillos ! Fous le camp que je ne te vois plus sinon t’es foutue ! ». « Mais je n’ai rien fait ! ». Finalement personne n’a été pris. Plus tard lui il a été fait prisonnier avec d’autres dans une rafle. Cette fois-là, j’ai passé à travers. À la fin de la guerre, tous les maquisards qui avaient leur camp à la ferme des « Lagets » savaient que l’armistice allait être signée bien avant qu’elle ne soit annoncée.
Nous avions, à la fin de la guerre quatre enfants. Les deux premiers étaient nés à Vaison les deux derniers à Entrechaux (une en 43 et un en 44 dans les foins de la grange). On n’avait pas de poussette. La corbeille à linge servait de berceau… mais on était heureux tout de même. Comment je fais pour me rappeler de tout cela ? J’en reviens pas !
Je me souviens du bal où l’on allait danser avec Arthur le dimanche. C’était le père de Jean Monier qui jouait de l’accordéon ; On était planqué sous le tunnel des Trois Rivières…ça je me le rappelle bien car j’adorais danser et Arthur aussi. Il y avait aussi des fêtes dans la remise de Gaston… c’était le bon temps !